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Patrimoine

LE BOULONNAIS - Les temples-manoirs

01 octobre 2024

Les temples du Nord-Pas de Calais racontent une histoire, la nôtre. La logique est donc de les appréhender dans un ordre plutôt chronologique. Mais il ne reste aucun temple de la période espagnole du XVIe siècle.

Côté français[1] celui de Guînes fut victime de la révocation de l’Édit de Nantes. Même le temple offert aux protestants de Lille en 1807, l’ancien hospice des bons-fils, a été détruit lors de la construction de la gare… Mais sur cette liste des premiers temples de la région j’ai oublié les temples-manoirs du Boulonnais, érigés à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle. Ces édifices intégrés aux manoirs sont des propriétés privées, inaccessibles et peu connus… Une raison supplémentaire de partir à leur découverte.

Mise en contexte : les Églises de fief

Au XVIe siècle le Boulonnais fait déjà partie intégrante du royaume de France qui est alors ravagé par les Guerres de Religion. Chacune d’elles se termine par un édit de pacification, le plus connu étant celui de Nantes. Les protestants du Boulonnais obtiennent alors un lieu de culte à Desvres, ce qui est assez limité. Mais on dénombre sept cultes de fief (au minimum). Les édits de pacification autorisent en effet le culte protestant chez les nobles. Sous certaines conditions ce culte peut être public. La petite noblesse du sud Boulonnais passée à la Réforme se fait protectrice des huguenots jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes.

De ce passé huguenot il subsiste des manoirs, ces maisons-fortes campagnardes allant du petit château à la ferme fortifiée. Certains d’entre eux furent des lieux de culte protestants. Mais le culte de fief est fragile, une conversion, une vente et il disparaît. La conversion de Jean de Louvigny met ainsi fin aux cultes à Estréelle et Wierre. Il en va de même lorsque le manoir de la Haye est vendu à un seigneur catholique. La révocation de l’Édit de Nantes sonne la glas des derniers lieux de culte protestants.

Les édifices : des temples intégrés

Deux de ces manoirs ont gardé des traces de ce passé huguenot. Le manoir de Liembrune (ou Niembrune) est construit au début du XVIIe siècle par Claude de la Wespierre. La propriété est privée mais en s'approchant on peut voir sur la gauche un bâtiment rectangulaire avec un toit en croupe, plus ancien que la ferme elle-même. Il s’agit de l’ancien temple avec une tourelle carrée en guise de clocher, « un curieux spécimen de l’architecture ecclésiastico-militaire des guerres de Religion » selon les dires de l’historien du XIXVictor-Jules Vaillant.

Manoir de la Haye, Le logis seigneurial à gauche, les communs et l’entrée à droite.

 

Le manoir de la Haye est lui daté du XVIe siècle. Le corps de logis, carré et flanqué de quatre tourelles d’angle également carrées, se distingue clairement. Il fut un lieu de rassemblement protestant jusqu’au milieu du XVIIe siècle sous le chevalier Louis le Carlier.  Le manoir est aujourd’hui un centre équestre, l’écurie des Parpaillots, proche d’une pâture appelée le cimetière des parpaillots. La plus vaste salle du logis, avec cheminée et poutres, est toujours appelée le «temple». Ici les toponymes font mémoire.

Un cas particulier : Estréelle

Le temple d’Estréelles (avant sa démolition)

La tour et les mâchicoulis donnent à l’édifice une allure militaire.

Il ne reste aujourd’hui que le mur de base en briques, craie et silex.

 

Le temple d’Estréelle ressemblait à une maison forte. Était-il un temple à part entière ou un manoir abritant un temple ? Le primat de sa fonction militaire se lisait dans son architecture : des murs épais, des créneaux, des mâchicoulis. Le quadrilatère était flanqué d’une tour semi-cylindrique. Mais la fonction militaire en fit-elle nécessairement un château ? Les églises fortifiées ça existe, pourquoi pas un temple ? Certes l’argument ne se suffit pas à lui-même mais ouvre le débat. Le château est la résidence du seigneur. Or plusieurs arguments plaident contre une fonction résidentielle : l'exiguïté des lieux, l’absence de puits et de cave.

En 1567 François de Louvigny fait construire le temple. Les assemblées se tenaient au rez-de-chaussée tandis que l’étage servait de logement au pasteur. Le lieu est pris d’assaut le 27 août 1572. Des impacts de balles en témoignaient encore il y a quelques décennies. C’est du moins ce qui est rapporté par la tradition. Selon le pasteur Louis Rossier dans son Histoire des protestants de Picardie, peu de sang a coulé dans la région à l’issue de la Saint-Barthélemy. En revanche une attaque du temple serait plus logique en 1588-1589 lors des offensives de la Ligue[2]. Le toit et la tour sont alors endommagés. Au temps de l’Édit de Nantes l’édifice restauré est à nouveau ouvert au culte. Il sert également de nécropole aux Louvigny inhumés dans un caveau sous l’édifice. À la mort du dernier Louvigny réformé, vers 1625, il perd sa fonction de temple. Réduit à l’état de grange, il se dégrade progressivement. Après l'effondrement de la tour l’édifice est arasé en 1970, réduit à ses murs de fondation. Le plus ancien temple de la région disparaissait dans l’indifférence générale.

Manoir de Liembrune, À gauche l’ancien temple avec sa tourelle carrée en guise de clocher.

 

Prochainement : Guînes, le temple disparu.

 

[1]Au XVIe siècle l’essentiel de la région forme le sud des Pays-Bas espagnols. Seul le littoral de Calais à Montreuil appartient au royaume de France.

[2]Organisation ultra-catholique qui contesta l’arrivée au pouvoir d’Henri IV. Très active militairement de 1584 à 1594.

En savoir plus

Pour aller plus loin :

JOBLIN Alain, Les protestants de la côte au XVIIe siècle (Boulonnais, Calaisis), Honoré Champion, 2012.

SEYDOUX Philippe, Gentilhommières d'Artois et du Boulonnais, Éditions de la Morande, 2006.

Éric Deheunynck

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