Au fil des textes

Jean 10.11-18 : La Vie en jeu

01 avril 2024

La figure du berger est récurrente dans les textes bibliques. Deux des personnages les plus importants, Moïse et David, sont des bergers au moment où Dieu appelle chacun d’eux à son service.

Comme Jésus a pu dire en son temps à ses disciples qu’il les appelait à être pêcheurs d’hommes, on peut suggérer que ces hommes qui gardaient des troupeaux de moutons sont appelés à garder et guider des troupeaux d’humains, à les guider vers la liberté pour l’un et vers l’unité d’un peuple pour l’autre (ce qui implique au fond la liberté). Jésus, qui se proclame berger, se déclare ainsi à l’exclusion de tout autre personne. Il n’y a plus ni Moïse ni David.

 

Un seul berger

C’est si facile, depuis toujours, de se proclamer berger. C’est ainsi qu’on considère ceux qu’on appelle « pasteurs ». Alors, une des choses qu’on attend d’eux et elles (puisqu’il y a des femmes pasteures dans notre Église, et pas qu’un peu !), c’est précisément de prendre soin des brebis, de leurs brebis, d’en avoir souci, d’y faire attention. C’est une grande responsabilité qu’on leur fait porter. Mais, en vérité, y a-t-il d’autres bergers que le Seigneur ? N’est-il pas le seul qui puisse être le « bon berger » ? Ce qui le distingue, c’est qu’au plus profond de lui, dans ses entrailles, là d’où surgit la compassion, se nouent l’amour de ses brebis et le désir que celles-ci soient en vie. Et cela se manifeste ainsi : le bon berger se défait de sa vie pour ses moutons. Le Jésus johannique ne le dit pas seulement une fois ; il l’affirme à plusieurs reprises, en particulier dans ces quelques versets. C’est son choix, c’est sa décision, c’est sa liberté.

 

Donner sa vie

Cette image du berger pour parler du Seigneur, elle nous est familière puisque nous la connaissons dès notre jeune âge lorsque, à l’école biblique, on nous raconte la parabole de la brebis perdue. Nous ne sommes pas alors dans l’évangile selon Jean puisque ce texte ne l’utilise pas. Mais nos quelques versets du chapitre 10 de cet évangile font fortement écho à cette parabole. À travers les mots « le bon berger se défait de sa vie pour ses brebis », nous visualisons ce berger qui prend tous les risques pour aller récupérer, pour aller sauver la brebis perdue. Oui, probablement, le bon berger se caractérise par le fait qu’il est prêt à tout pour sauver ses brebis, chacune de ses brebis. Pour lui, elles ont chacune du prix à ses yeux. Tout pasteur que l’on est aujourd’hui et même si nous sommes attachés aux membres de nos communautés, comment pourrions-nous arriver à la cheville de ce berger-là ? La question est d’autant plus pertinente lorsqu’on mesure que dire qu’il se dessaisit de sa vie pour ses brebis, ça implique que le bon berger de l’évangile selon Jean parle d’un autre événement fondamental pour un chrétien : celui de la croix. Il est ainsi celui qui accorde moins d’importance à sa propre vie qu’à la vie de ses brebis. Qui d’autre est prêt à risquer son existence en n’abandonnant aucun des siens ? Mais alors, sont-ils vraiment les siens ? C’est seulement le bon berger qui peut dire, légitimement, mes brebis. Ce faisant, à vrai dire, il ne parle pas comme un propriétaire, quelqu’un qui aurait à perdre financièrement si une de ses bêtes était abîmée, perdue…

 

D’amour et d’amitié

Comme le berger dont la brebis est égarée, s’il s’en inquiète, ce n’est pas par intérêt, mais c’est parce que… « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». C’est par amitié que le berger s’enquiert de toute brebis. Or quand nous parlons d’amitié, c’est au sens le plus noble du terme, comme l’ont pensé de nombreux philosophes, à commencer par Cicéron et Aristote. Notons d’ailleurs avec amusement cette citation de ce dernier : « L’objet principal de la politique est de créer l’amitié entre les membres de la cité. » C’est bien par amour que le bon berger prend tous les risques, qu’il est prêt à aller jusqu’à donner sa vie. Car ce qui est en jeu pour lui, c’est la vie de ses brebis.

 

Quelle responsabilité ?

La figure de ce bon berger s’oppose à celle du mercenaire. En son temps, le théologien Ulrich Zwingli rejette avec force la pratique du mercenariat. En effet, comment, alors que nous sommes chrétiens, pourrions-nous accepter un système où la vie d’hommes et de femmes se paie à coup de monnaies trébuchantes ? Comment pourrions-nous nourrir un système au sein duquel il s’agit de risquer sa propre vie en gagnant de l’argent ? Comment pourrions-nous supporter ainsi que la vie ait si peu de valeur, celle du mercenaire comme celle de la brebis ? Un mercenaire, c’est quelqu’un qui ne peut pas dire « mes brebis », qui intègre au plus profond de lui-même que personne n’est son ami et que personne ne lui appartient, c’est-à-dire que nul n’est sous sa responsabilité. C’est un peu comme si un pasteur d’aujourd’hui apprenait que l’un des membres de sa communauté a été convaincu d’agressions sexuelles, de viols, d’actes de pédophilie. Oui, c’est un peu comme si un pasteur apprenait ce genre de choses et ne se sentait pas concerné. Bien sûr, je me pose cette question : suis-je responsable des actes de mon frère ou de ma sœur ? Et je suis clairement tentée de dire non. Comme je suis clairement tentée de dire qu’il n’y a qu’un seul bon berger. De cela, je suis convaincue. Je suis convaincue que le Seigneur est le seul à donner sa vie jusqu’à la croix, qu’il a fait cela pour que nous n’ayons pas à le faire. Mais je suis aussi convaincue qu’il nous appelle, nous qui sommes ses brebis, à vivre l’amour, l’amitié entre nous et que c’est là le cœur de l’Évangile. Le défi de toute une vie !

Le berger a le souci de chaque animal © Foyn/Unsplash

Le berger a le souci de chaque animal © Foyn/Unsplash

 

Pas facile d’être berger !

Si l’on veut parler de certains qui ne sont pas de bons bergers, il faut aller faire un tour du côté du chapitre 34 du livre d’Ézéchiel. Il y a là, par la bouche du prophète, une charge violente du Dieu d’Israël contre les bergers, c’est-à-dire les responsables d’Israël, ceux qui ont la charge du peuple. Il leur est reproché de ne pas avoir cherché la brebis perdue, de ne pas avoir pris soin du troupeau, de ne pas l’avoir fait paître. Ils sont accusés de ne pas avoir été des bergers.

Magali Carlier
Pasteure à Bresse Bugey Dombes

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