Folles idées

Parlons argent !

01 novembre 2018

Les années passent et les ressources financières des Églises diminuent. Le nombre de foyers versant des offrandes nominatives est invariablement en baisse depuis longtemps (-3,2 % en 2017 par rapport à 2016) au point que les équilibres budgétaires deviennent très compliqués. Aujourd’hui, le sujet de l’argent reste donc une préoccupation majeure pour l’avenir de nos Églises. Et il devient urgent de réinterroger nos pratiques et nos discours sur l’argent en Église. Alors, parlons argent !

Le trésorier s’avance. Il prend la parole avant la collecte : Chers amis, je dois vous dire que nous sommes très en retard cette année par rapport à nos objectifs. Je n’ai pas pu verser la contribution régionale depuis 2 mois. Et nous avons une grosse facture de dépannage de la chaudière à payer. Il faut vraiment que vous fassiez un effort. Je compte sur vous ! Puis le pasteur reprend la parole : Merci, frères et sœurs, pour l’attention que vous porterez au message du trésorier. C’est maintenant le temps de l’offrande : que chacun donne dans la joie et la reconnaissance.  
© Élisabeth Renaud

Un discours non accessible

Et la scène se rejoue chaque dimanche. Et plus la fin de l’année approche, plus les appels s’intensifient!
Trop souvent, nos discours s’adressent aux plus fidèles de nos membres. Ceux qui sont présents régulièrement au culte, ceux qui participent aux activités de l’Église, ceux qui connaissent grosso modo le fonctionnement de l’Église et qui sont déjà des donateurs réguliers. Et c’est eux qui « prennent pour les autres » ! Qui n’a pas fait l’expérience de cette sensation désagréable de se faire interpeller (chers amis, il faut vraiment que vous fassiez un effort !) à la place de ceux qui sont réellement visés, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas présents et qui pourtant sont appelés à la solidarité?

Trop souvent, nos discours ne sont accessibles qu’à des initiés ! Dans notre exemple, le trésorier semble considérer que toute personne présente au culte comprend ce que signifie nous sommes en retard par rapport à nos objectifs (imaginez une personne qui vient depuis quelques dimanches seulement et qui n’a jamais assisté à une assemblée générale !).
Trop souvent, nous interpellons nos membres comme s’ils étaient des « donateurs réguliers ». Or nous le savons, ceux-ci deviennent (hélas !) une minorité. Beaucoup de participants à nos assemblées se contentent de quelques dons dans l’année, sans que nous sachions très bien identifier les raisons qui les poussent à donner. Aujourd’hui, la culture du don régulier ne va pas de soi. Peut-être était-elle encore naturelle pour des membres engagés de nos Églises dans les générations passées, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cela n’a rien à voir avec la générosité ; les enquêtes montrent que les Français (et particulièrement les jeunes générations !) sont généreux aujourd’hui pour bien des causes. Mais la fidélité spontanée et régulière à l’Église, c’est autre chose.

Un langage clair

Enfin, une dernière difficulté : l’inculture religieuse (et ecclésiale) est de plus en plus forte aujourd’hui. Dans nos assemblées, beaucoup ne connaissent strictement rien à l’organisation de nos Églises et à nos finances. Beaucoup ne savent pas que les Églises ne vivent que des dons. Beaucoup ne connaissent rien sur le « traitement du ministre », sur la solidarité régionale, sur l’Union nationale. Et lorsque notre trésorier déclare qu’il n’a pas pu verser depuis deux mois sa « contribution régionale », beaucoup d’auditeurs ne comprennent pas de quoi il s’agit.
Mais une autre menace pèse sur notre manière de parler de l’argent en Église. C’est la pudeur ou l’autocensure que nous nous imposons lorsque nous parlons d’argent, au motif que, dans l’Église, l’argent ne doit pas être un frein à l’accueil de tous.
Certes, tout est gratuit ! Mais tout a un coût et nous avons peine à l’expliquer. L’équilibre un peu difficile : proclamer que l’Église est une communauté d’hommes et de femmes réunis pour écouter la Parole de Dieu sans contrainte et sans contrepartie (particulièrement financière !) tout en expliquant que l’Église doit être soutenue financièrement régulièrement pour accomplir sa mission.
Équilibre difficile à l’occasion des actes pastoraux. Que dire à un couple qui sollicite un accompagnement de l’Église à l’occasion d’une bénédiction nuptiale ? Que dire à des parents qui demandent le baptême de leur enfant ? Que dire à une famille endeuillée qui souhaite un accompagnement ?
Je plaide pour un langage clair et décomplexé. La première précaution, c’est évidemment de dissocier totalement l’accompagnement spirituel de tout enjeu financier. Le prédicateur, le pasteur, le catéchète, le visiteur n’a pas vocation à mélanger son travail théologique et spirituel avec un discours financier. Mais il y a un temps pour annoncer l’Évangile et un temps pour parler des réalités matérielles. Ici, l’attention doit être portée sur le « bon » moment. Dans un entretien de préparation de mariage, il y a un moment pour ouvrir la Bible avec un couple, et un autre moment pour parler des finances de l’Église.

Une parole décomplexée

La deuxième précaution, c’est de trouver le bon langage et de donner les bonnes informations aux bons destinataires. Dans un culte « ordinaire » avec l’assistance habituelle, on peut parler un langage d’initié. Dans un culte ouvert à un public large (acte pastoral, culte festif, circonstance exceptionnelle), l’information doit être adaptée et il faut considérer que l’auditeur moyen est à un niveau zéro de connaissance sur les finances de l’Église.
La troisième précaution, c’est d’éviter les non-dits ou les mystères sur les finances. Nous devons assumer une parole décomplexée : le coût du presbytère, le montant du « traitement » du ministre, le coût des réparations de la voiture ou de la chaudière, tout peut être dit. Prendre au sérieux nos donateurs, c’est tout leur dire sur l’usage de leur argent.
Mais il y a encore une étape à franchir. La plus difficile sans doute. C’est d’aider chacun à évaluer le montant de sa participation financière. C’est un sujet souvent tabou dans nos Églises et pourtant si important. Quel est le juste montant de ce que chacun peut envisager de donner à l’Église ? Entendons-nous bien. Chacun est libre, et il serait bien malvenu de légiférer en la matière. Mais nous devons réfléchir sur ce point pour donner des repères à ceux qui en cherchent. Dans certaines Églises sœurs, on parle de la dîme (c’est biblique ! Un dixième des revenus consacré au Seigneur !). Dans nos Églises, chacun décide en conscience. Mais peut-être faudrait-il un repère ? Je fais un rêve. Supposons que nous demandions à chaque foyer connu dans toutes les Églises locales (102 000 foyers connus pour 410 Églises locales en 2017) d’offrir l’équivalent d’une journée de salaire (net) par mois sur la base du smic. Cela représenterait 73 millions d’euros de recettes pour les Églises locales, soit 2,8 fois plus qu’aujourd’hui. Et si nous faisons le même raisonnement en proposant ce repère au seuls foyers participants déjà à la vie financière de nos Églises locales (44 500 en 2017) cela représenterait 32 millions d’euros (1,2 fois plus qu’aujourd’hui) ! Une journée de travail par mois pour le Seigneur ? Mais ce n’était qu’un rêve !

Guillaume de Clermont

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