Couper les ailes au zèle

Les limites du management

01 mai 2017

Une fois par an, les salariés se rendent à la médecine du travail qui est chargée de discerner, de prévenir et de stopper les maladies des travailleurs. Elle traite les symptômes, mais nullement les causes. Celles-ci font l’objet d’études scientifiques par des psychocliniciens du travail. Ils souhaitent redonner son sens au travail.

Depuis presque 30 ans, Christophe Dejours analyse avec beaucoup de soins les évolutions managériales et leurs conséquences sur le travail. Pour lui, tout travailleur fait face à des injonctions. Elles représentent le prescrit. Mais elles sont insuffisantes. Des dizaines de fois par jour, le salarié est confronté à des imprévus, des incidents, des « bugs » qui nécessitent son intelligence pratique. Sans elle, sans ce supplément d’âme, sans ce zèle que met l’ouvrier pour accomplir sa tâche, aucune entreprise productive ne pourrait tourner. Ce zèle est individuel et collectif puisque résultant d’une transmission d’un savoir-faire ou de l’élaboration collective d’une équipe. Ce zèle implique donc collaboration, coopération et solidarité.

La gestion

Or les politiques de management gestionnaires ont mis à mal ce zèle du travailleur. En introduisant à tous les niveaux la performance et la rentabilité, l’analyse comptable a suscité la concurrence entre travailleurs. Les fractures ont entraîné l’isolement dans la tâche et la méfiance entre collègues. Refusant d’accomplir des actes contraires à leur idée du métier, les travailleurs font la grève du zèle ou se perdent à « corps perdu » dans le travail, pour ne pas penser, pour ne pas faire face à cette trahison d’eux-mêmes qu’ils accomplissent. C’est véritablement à « corps perdu » puisque ce travail provoque troubles musculo-squelettiques, dopage, dépression, burn-out, karôshi (mort par excès de travail) ou même suicide.

De nouvelles approches

Les psychocliniciens du travail ont élaboré leurs théories à partir de cas pratique. De leurs interventions, ils ont tiré plusieurs principes. Le manager doit changer. D’abord, il doit être compétent, connaître le travail réel pour aider ses subordonnés et pour qu’ils lui reconnaissent une autorité légitime. Ensuite, il doit écouter les membres de son équipe, individuellement et collectivement. Écouter et en prendre compte dans son arbitrage. Puis il doit veiller aux conditions favorables de la coopération qui constitue au niveau collectif le réel de la coordination « prescrite ». Pour cela, les lieux de délibération collective, véritables lieux d’apprentissage et de développement de la confiance mutuelle, sont nécessaires. Ils peuvent connaître deux formes : réunion de travail ou de convivialité. Ces dernières ne sont pas inutiles, car improductives ! Elles sont essentielles à la coopération.

Le manager est appelé également à traduire les ordres de la direction. Il lui faut dire ce que cela implique pour ses subordonnés. Cela le conduit nécessairement à prendre une certaine distance vis-à-vis de la direction. Il est la voix de ses subordonnés auprès de celle-ci. Il peut lui faire remonter ce qu’il sait du travail réel et défendre les décisions fondées sur la délibération collective. Il montre ainsi aux salariés que leur parole a du sens et un impact positif pour l’entreprise.

Enfin, le manager doit participer à l’écriture des principes de l’entreprise, pour les revisiter ou les renforcer. Ce travail est essentiel, car « il n’y a pas de séparation entre la conduite dans et hors travail. Une entreprise renouvelle le vivre-ensemble ou bien elle contribue à le détruire ». La question du management n’est donc pas une question économique, mais sociétale ! Il est urgent d’en prendre conscience individuellement et ecclésialement.

Savoir couper les ailes au zèle !
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Christophe JACON
journal Ensemble

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