Histoire

Les graffitis précurseurs des tags*

01 janvier 2020

Au XVIIe  siècle, les importantes fortifications des forges de Brouage et la présence d’un personnel administratif et militaire font de ces anciennes forges un lieu de rétention sûr. L’une des forges, désaffectée, devient prison. Ses murs sont fleuris de graffitis.

Graffiti de la prisonnière M. Rivet © MHPC

L’un des graffitis est exceptionnel. D’abord par la dimension du texte : quatre mètres de long sur un mètre cinquante de haut. Ensuite par l’intérêt du texte, pour nous protestants et malgré la difficulté de la lecture et de la photographie. Ce texte est selon Micaleff « étonnant en raison de sa qualité biblique et théologique ». Trois ans plus tard, en 1958, le chanoine Tonnelier, directeur de l’Académie de Saintonge a pu relever l’inscription par estampage et il en donne une lecture différente. Le débat s’engage : s’agit-il d’un texte « protestant » datant de 1685 (Révocation de l’édit de Nantes) ou bien d’un texte « catholique » rédigé par des prêtres réfractaires en 1793 ?

Un témoignage courageux

Maurice Causse de Saintes, docteur ès sciences et docteur en théologie, entreprend alors des recherches aux archives de la marine à Rochefort où il trouve trois documents qui confirment que l’auteure du texte : M. Rivet prisonnière est bien une femme et non un homme. Ces trois documents s’adressent à l’intendant Arnoul qui reçoit l’ordre de libérer les femmes. L’une parce qu’elle est noble, d’autres parce qu’elles ont décidé d’abjurer. Quant au troisième document, c’est une liste de femmes notables qui refusent d’abjurer et qui, en raison de leur notoriété, sont expulsées vers la Hollande via Bordeaux, le 16 mars 1688. Sur cette liste se trouve le nom de Marguerite Rivey, celle qui serait l’auteure du graffiti gravé pendant son emprisonnement de 1685 à 1688.
Ce graffiti est important à plusieurs titres. Il est écrit par une personne cultivée et il renseigne sur l’état de la langue française dont l’orthographe n’est pas encore fixée. En même temps, il constitue un témoignage courageux sur la foi des protestants au moment de la révocation de l’édit de Nantes et leur détermination à résister patiemment. Ce qui est une des semences de liberté qui conduiront à la laïcité en 1905. Il est encore la preuve de l’intolérance des puissants du royaume de France qui emprisonnaient pour motifs religieux. À cette époque, un Français est catholique ; un Français ne peut être, ni protestant, ni athée, ni juif ou musulman.

Un éclairage historique

À la fin du XVe siècle, le havre de Brouage était le plus beau du royaume de France. Sa réputation était grande dans toute l’Europe du Nord, car le sel qui y était extrait avait la grande vertu de ne pas donner un mauvais goût aux poissons salés. C’est pourquoi toute l’Europe du Nord venait s’approvisionner dans ce très riche « grenier à sel », par ailleurs plus proche que celui du Portugal. L’économie du sel y est particulièrement florissante, car c’est le seul produit qui permet de conserver le poisson une fois pêché. Marins et négociants ont un rôle déterminant et beaucoup sont étrangers. Tout ce personnel se répartissait dans de nombreux petits ports et villages Hiers, Moêze, Beaugeay, Saint-Froust. Plusieurs langues étaient parlées. Le latin de moins en moins et à partir de l’édit de 1539 le français devient langue officielle et se répand dans toute l’Europe. Brouage est une cité cosmopolite.
Aujourd’hui, il reste à la vue des promeneurs et touristes le magnifique linteau de la demeure d’un négociant flamand (à côté de la maison Champlain) protestant de surcroît.
Les nombreuses pierres de lest, visibles un peu partout dans les vieux murs de clôture, sont une autre preuve. Elles viennent d’Allemagne, Norvège, etc. Ainsi en cette fin du Moyen Âge, les Saintongeais du Pays des îles vivent à l’international. Marins et commerçants vendent le sel et communiquent les nouvelles.

Linteau de la demeure d’un négociant flamand (à côté de la maison Champlain) © Robert Martel

Un terroir très prospère

Quand le « beau seizième siècle » s’ouvre, le Pays des îles est très prospère. Deux événements majeurs vont participer à la modification de la situation, avant la révolution industrielle. En janvier 1515, dès son avènement, le jeune François 1er a de très grandes ambitions pour asseoir sa souveraineté. Les moyens lui manquent. Les historiens évoquent les glorieux succès militaires en Italie. Ah ! Marignan ! Ils évoquent beaucoup plus rarement le concordat de Bologne (1516) à cause de son aspect religieux. Celui-ci fait du roi, le chef de l’Église catholique en France, ce qui renforce considérablement le mythe du roi de droit divin. Ce qui peut se résumer par la formule : « Un ROI, une LOI, une FOI ». Au début du règne de François 1er, tous les sujets du roi sont obligatoirement français et catholiques.
En octobre 1517, Martin Luther demande une réforme de l’Église. Il est sommé de se rétracter. Il refuse au nom de sa liberté de conscience publiquement exprimée. La Réforme est en route et des événements importants et parfois spectaculaires se déroulent en Allemagne. Ils sont d’abord religieux, puis politiques et aussi économiques en raison du transfert considérable de capitaux allemands vers Rome. Tout le monde en parle.

Une résistance patiente

Les marins transporteurs de sel écoutent. Pendant le long voyage de retour, ils ont le temps de réfléchir et commenter. À l’arrivée au Pays des îles ils racontent et transmettent les idées luthériennes que la population apprécie, puis adopte et réclame un pasteur. Le premier envoyé par Calvin arrive à Arvert, en 1556, trois ans avant celui de La Rochelle. Puis des pasteurs arrivent à Marennes, Saint-Just et Moëze. Au Pays des îles, la population protestante devient majoritaire et par conséquent elle est opposée à la volonté souveraine absolue du roi, quoi qu’on dise… Les guerres de religion ne changeront rien à cette loi.
Louis XIV est champion de la souveraineté absolue et entend être obéi. En désaccord avec Henri IV, il révoque en 1685 l’édit de Nantes pour éradiquer la religion prétendue réformée. Un protestant est plus que jamais un délinquant. L’intolérance royale se développe ; les incarcérations augmentent ; la résistance huguenote s’installe avec patience dans la durée ou bien en s’exilant.
L’incarcération à Brouage de femmes huguenotes ayant chanté des psaumes sur un bateau hollandais en rade de Marennes est dans la logique du mythe de souveraineté de droit divin qui mêle politique et religion. M. Rivet nous a laissé un graffiti qui nous rappelle ce que fut leur dur, long et patient combat au nom de la liberté de conscience.

 

* Ce titre était celui de l’exposition itinérante élaborée en 2019 par la Maison de l’histoire du protestantisme charentais grâce au don des nombreux moulages que feu Georges Coudein avait réalisés il y a 25 - 30 ans.

Martel Robert

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