Cinema

Le poirier sauvage

01 octobre 2018

 un film de Nuri Bilge Ceylan. Sortie le 8 août 2018 (Turquie, 3h08)

Le huitième film du plus grand réalisateur turc vivant a été cette année injustement négligé par le jury de Cannes. Sinan, jeune étudiant inquiet de son avenir, rêve de devenir écrivain. À la veille de passer le concours d’instituteur, il va retrouver son village natal d’Anatolie, dans la campagne traditionnelle d’une Turquie conservatrice. Il cherche un éditeur pour son premier livre et renoue avec ses proches, dont un père charmeur et blagueur pour lequel il a peu d’estime. En effet, ce dernier, instituteur criblé de dettes, est connu pour dépenser au bar du coin l’argent du foyer dans les jeux de hasard. Conscient de cet opprobre, il se retire souvent dans une petite ferme familiale et creuse un puits là où chacun pense qu’il n’y a pas d’eau.

Dès lors, le réalisateur nous propose un voyage intérieur lyrique partiellement autobiographique, médié par les interrogations et les doutes existentiels d’un aspirant écrivain au seuil de sa vie d’homme. Sinan se confronte à sa famille, à un amour de jeunesse, à un ami devenu policier, à deux jeunes imams, à un romancier célèbre qu’il admire et provoque. Ces interlocuteurs, au fil de longs dialogues denses et polémiques, très littéraires, à l’atmosphère tchékhovienne – sur la condition des femmes ou celle des artistes, la foi, les contraintes qui pèsent sur les destinées individuelles – vont le faire grandir intérieurement, et battre en brèche son arrogance de petit intellectuel prétentieux. Ainsi finira-t-il par comprendre le malheur de son père mais aussi sa profonde richesse humaine.

 

Ces controverses alternent avec fluidité avec des paysages d’une grande beauté, qui rappellent le grand photographe qu’est Ceylan et où se déploient les angoisses et les rêveries de Sinan. La musicalité du montage confère au film, malgré sa durée, un rythme émouvant auquel contribue celui des saisons ; et la dominante rouge-orangé des images de l’automne renvoie à la mélancolie du passage à l’âge adulte. Roman d’apprentissage, ce chatoyant poème cinématographique est fascinant

© DR

 

Jean-Michel Zucker

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