Le christianisme en Éthiopie*

01 mai 2018

Danielle Dubreuil, de l’Église protestante unie de Poitiers, est partie quinze jours en janvier avec un groupe d’amis à la découverte de l’Éthiopie chrétienne. Retour sur ce voyage aux mille couleurs.

L’Éthiopie est née il y a environ 3 000 ans. C’est l’état indépendant le plus ancien d’Afrique. Il se manifeste aux IIIe et IVe siècle avec le royaume de D’mt, puis avec le royaume d’Axoum, premier grand État connu d’Afrique.

Le royaume de la reine de Saba

Axoum, est une ville située dans les montagnes nord-ouest du Tigré et fut autrefois un grand centre de commerce à partir du port d’Adulis sur la mer Rouge. Elle a été et reste un centre de pèlerinage de la chrétienté orthodoxe et un haut-lieu de sa culture nationale.
L’existence de stèles monolithiques de granit et les ruines du palais de la reine de Saba confirment l’existence d’une histoire antique glorieuse. La cathédrale Notre-Dame-de-Sion en fait la ville sacrée des Éthiopiens car d’après la légende, l’originelle Arche d’alliance y serait conservée.
L’histoire éthiopienne attribue la naissance du royaume d’Axoum à la rencontre du roi Salomon et de la reine de Saba, Makeda.
 
L'église monolithique St Georges de Lalibela © Danielle Dubreuil

L’histoire raconte que celle-ci fut attirée par la réputation de sagesse du roi Salomon, et se rendit en Israël à l’époque où le roi dans sa plus grande gloire venait d’achever son palais.
Durant son séjour elle serait, selon la tradition éthiopienne, devenue sa femme. Elle retourna enceinte dans son pays, où elle accoucha d’un fils qu’elle envoya plus tard à Jérusalem auprès de Salomon, son père. Il y passa plusieurs années et fut oint de l’huile sainte de la royauté. Salomon lui promit alors un morceau du couvercle de l’Arche d’alliance mais ses serviteurs le volèrent et le rapportèrent avec eux en Éthiopie. Ménélik Ier, fils de Salomon, fut le premier souverain d’Axoum et fondateur de la dynastie salomonide.
Ainsi, la descendance de la tribu de Juda, lignée de David, roi de Sion, dépositaire des tables de la Loi, grâce à l’Arche d’alliance volée, permet aux Éthiopiens de s’octroyer le privilège divin réservé au peuple élu. La royauté éthiopienne est ainsi sacrée : par le sang, par une descendance directe, par la promesse en tant que peuple élu et par l’onction du saint chrême de Salomon à Ménélik Ier.
Axoum est le centre mémorable de la dynastie de la reine de Saba sur laquelle reposerait la notion de la parenté sacrée entre les peuples sémitiques d’Éthiopie, une notion qui unit le passé au présent.
Vers l’an 330, le roi Ezana se convertit au christianisme sous l’influence de son précepteur syrien Frumentius qui deviendra le premier patriarche éthiopien mais l’on pense que le christianisme avait été depuis longtemps introduit dans le pays par des marchands romains chrétiens présents en mer Rouge. Le livre des Actes des Apôtres au chapitre 8 évoque aussi un fonctionnaire d’une reine de la dynastie des Candace régnant sur un territoire éthiopien, venu en pèlerinage à Jérusalem et devenu chrétien, baptisé par Philippe.

L’Église éthiopienne

Bien que l’Éthiopie soit un pays constitutionnellement laïc depuis 1994, le recensement officiel de 2007 fait apparaître que 62,8 % des Éthiopiens seraient chrétiens (43,5 % orthodoxes, 18,6 % protestants et 0,7 % catholiques), 33,9 % musulmans et 3,3 % de religions traditionnelles.

Danses et chants des diacres et enfants des écoles bibliques
© Danielle Dubreuil
  L’Église éthiopienne compte aujourd’hui environ 45 millions de fidèles (incluant la diaspora) et un clergé de quelques 400 000 membres, servant dans 30 000 paroisses à travers le pays.
Omniprésent en Éthiopie le fait religieux est et marque tous les moments de la vie. L’influence de l’Église orthodoxe dans les sphères politique, sociale et culturelle ne s’est jamais démentie, malgré la concurrence d’autres religions. Neuf fêtes majeures et neuf mineures, toutes liées à des événements de la vie du Christ, des apôtres, des martyrs et des saints sont célébrées au cours de cérémonies mensuelles. Pour la Vierge Marie, qui fait l’objet d’une dévotion spéciale, 33 jours lui sont spécialement dévolus.

Toutes les grandes commémorations sont précédées de jeûnes spécifiques : un fidèle observe en moyenne 180 jours de jeûne et le clergé 250 jours par an. Le croyant doit cesser ses activités durant les jours saints. L’agriculture et l’artisanat sont des activités déconseillées.
De plus, l’Église orthodoxe éthiopienne a, de toutes les Églises chrétiennes, le canon biblique le plus large, qui inclut notamment l’ascension d’Isaïe, le livre des Jubilés et le livre d’Hénoch cité dans le Nouveau Testament par l’Épitre de Jude.

La fête du Timkat

L’importance de la liturgie dans la vie éthiopienne se manifeste surtout par les grandes fêtes de l’année, comme celle du Timkat.
La fête du Timkat est après celle de Pâques, la plus importante de l’Église éthiopienne. Les 18 et 19 janvier, les fidèles commémorent le baptême du Christ dans le Jourdain et la Manifestation (Épiphanie) de la Sainte Trinité au début de la mission du Christ.
Selon la tradition orale Timkat (immersion) remonte au VIe siècle. Depuis lors jusqu’à nos jours, une procession porte le Tabot (réplique des tables de la Loi) vers un bassin où les pèlerins sont aspergés d’eau bénite après l’office. Plusieurs de ces répliques viennent de différentes églises et vont vers un même point de rencontre.

À Lalibela, ville sainte au cœur des hauts plateaux d’Abyssinie, la fête du Timkat commence par un office en soirée dans chaque église. La sortie du Tabot entouré de riches tissus de brocard et porté sur la tête par un prêtre est annoncée par une cloche et quitte en grande pompe les différentes églises monolithiques de la ville. La procession, tourne autour de l’église, menée par le chœur de l’école du dimanche puis se met en marche au son du tambour et des applaudissements. Les diacres battent le tambour, les musiciens agitent leurs sistres, le Tabot est encensé par les prêtres vêtus d’ornements chatoyants. Une danse liturgique évoque aussi David dansant devant l’Arche d’Alliance.

 
Procession du Timkat © Danielle Dubreuil

Cette procession portée vers une tente à proximité d’un bassin en forme de croix grecque rappelle le voyage de Jésus de Galilée jusqu’au Jourdain. De partout des gens se joignent à la marche, certains se prosternent devant le Tabot. Quand deux groupes se rejoignent, les gens se saluent avec beaucoup d’effusion.
Le rôle central du Tabot à la fête de Timkat, de la procession triomphante vers la source « Jourdain » à son retour à l’église, est unique. En dehors de l’église même, des patènes et calices, il est le seul objet consacré par l’huile sainte. Il est gardé dans le sanctuaire comme objet sacré entre tous et ne peut pas être vu par les laïcs et les diacres. En dehors de Timkat, il ne sort de son église que pour une procession de la fête du saint dont il porte le nom. On dit alors qu’il « règne ».
Toute la nuit du Timkat, les prêtres se relaient et continuent chants, danses et prières devant une foule de gens vêtus du traditionnel chamma blanc, chantant et frappant la mesure de leur sistre, maniant leur bâton de prière. Au lever du soleil, ils donnent le baptême à ceux venus le recevoir et aspergent ensuite la foule avec l’eau bénite dans un joyeux tumulte. Tous veulent emporter de l’eau dans des récipients pour leur maison d’abord mais aussi pour les personnes âgées ou handicapées qui n’ont pas pu assister et profiter des grâces de la fête.

 Femmes vêtues du traditionnel chamma blanc
© Danielle Dubreuil

 

* Article inspiré par le livre de Lucien Heinz, L’Éthiopie chrétienne, édition Karthala

Danielle Dubreuil

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