Folles idées

La visite pastorale : du fantasme à la réalité

01 juin 2018

Chaque Église locale attend de son ou sa pasteur·e qu’il ou elle fasse des visites. Et chaque pasteur·e sait combien il est difficile de prendre le temps de programmer des visites. Mais les visites projetées sur les pasteur·e·s sont-elles toutes justifiées ? La visite n’est-elle pas le lieu de tous les fantasmes ? Comment préserver la spécificité d’une visite pastorale…

Dans l’un de mes précédents postes pastoraux, les plus anciens de l’Église locale me racontaient que, jadis, le pasteur faisait ses visites au marché. Chaque semaine, après avoir salué de bon matin les maraîchers, il s’asseyait à la terrasse d’un café et il voyait défiler pendant toute la matinée une grande partie des « ménagères » de son Église locale qui, chacune à son tour, venait bavarder avec lui autour d’un café.
Chaque jeudi, donc, lorsqu’il rentrait au presbytère, il était au courant de ce qui s’était passé dans les familles, dans les couples, à l’école et dans les milieux professionnels de ses paroissiens. Ce temps révolu m’était conté avec nostalgie.
 
Le pasteur Jean-Luc Blanc lors d’une visite à un paroissien près de Bourges, janvier 2006 © DR

Et je sentais les regrets feutrés des plus anciens qui ne comprenaient pas que l’essentiel de mon temps ne fût consacré à la visite ! Les temps ont changé. Les modes de vie et les rythmes de vies aussi. Le ministère pastoral également. Pour autant, la visite pastorale reste aujourd’hui une attente forte.

La visite pastorale, lieu de tous les fantasmes ?

Mais de quoi parle-t-on ? Qu’est-ce qu’une visite pastorale ?
Je pense que nous serions bien étonnés si nous prenions le temps d’interroger les pasteurs, les membres des Conseils presbytéraux, et plus largement les membres de nos Églises sur le sens que chacun donne à la visite pastorale qui concentre bien des fantasmes !
Visite des personnes malades et vulnérables. Visite des personnes endeuillées. Visite des personnes que l’on ne voit jamais et qui sont dans le fichier. Visite des personnes qui étaient donatrices régulières et qui ne le sont plus. Visite des nouveaux venus au culte. Visite des personnes fâchées par une dispute ou à cause d’un prédécesseur. Visite des membres de l’Église locale pour repérer de nouveaux catéchètes, Conseillers presbytéraux ou autre actif pour s’engager dans la vie de l’Église. Visite des personnes âgées ou isolées. Visite dans les maisons de retraite pour y revoir les plus anciens du fichier. Visite de telle famille accompagnée par le service d’Entraide pour faire de l’évangélisation, etc.
Dans le domaine de la visite, les pasteur·e·s se trouvent souvent au cœur de multiples attentes, voire de fantasmes, chacun étant convaincu que le pasteur doit faire des visites, sans que personne ne soit capable d’en donner une définition claire.
Les pasteur·e·s doivent savoir de quoi il s’agit ?! Or, il n’en n’est rien ! Et il faut quelques années d’expérience pour qu’un ministre sache mieux définir les contours de la visite pastorale et comprendre ce que les uns et les autres, dans une Église locale, peuvent en attendre.

Les pasteur·e·s ne sont pas formé·e·s à la visite

Non seulement, on imagine que le pasteur doit savoir ce qu’est une visite pastorale mais en plus on est convaincu qu’il a reçu une formation spécifique pour faire des visites. Hélas, au risque de surprendre le lecteur, ce n’est que rarement le cas.
L’année de stage permet au futur pasteur d’accompagner un collègue chevronné et d’observer sa pratique de la visite, mais les instituts de théologie ne transmettent aucune compétence pratique pour la visite, tout juste quelques notions théoriques sur l’écoute, l’accompagnement, la « cure d’âme ».
Parfois, quelques ministres prennent le temps de compléter leur formation initiale pour se former à l’écoute et l’accompagnement, et ils acquièrent alors des connaissances utiles pour « faire des visites », mais ceux-là ne sont qu’une minorité.
Disons-le tout net, la visite pastorale s’apprend sur le tas, chemin faisant, et je comprends pourquoi plusieurs ministres semblent connaître des difficultés dans cette activité au démarrage de leur ministère, alors même qu’ils sentent une forte pression du Conseil presbytéral sur leur ministère autour de la visite.

Le « ministère de la visite », l’affaire de tous !

La difficulté que pose le thème de la visite, c’est qu’il est au croisement d’une préoccupation communautaire avec le souci que chacun peut avoir de son « frère/sœur en Christ » et d’une compétence qui n’est pas innée, qui se travaille, et qui peut devenir un ministère particulier confié à un ou plusieurs membres de l’Église locale, y compris le pasteur.
On peut donc dire que le ministère de la visite est l’affaire de tous, au sens où chacun·e doit se sentir invité·e à prendre l’initiative de visiter un membre de son Église. Mais pour autant, il semble essentiel que ce ministère soit aussi pris en charge par quelques membres de l’Église locale pour en assurer la permanence et une continuité, permettant d’accompagner durablement les plus fragiles de la communauté.
Encore faut-il s’entendre localement sur l’orientation que l’Église souhaite donner à la visite et c’est souvent là que se trouve la faille. Rares sont les Conseils presbytéraux capables de définir précisément le sens qu’ils donnent à la visite. On demandera au pasteur qu’il fasse des visites, on mettra en place, parfois, une petite équipe de visiteurs, mais on ne prendra que rarement le temps d’élaborer une « stratégie » et de définir ceux qui devraient être visités, pour quelles raisons, avec quelles suites et quelles projections à moyen terme. Pourquoi visite-t-on ? Avec quel message ? Au nom de Qui ? (Du Christ ? De l’Église locale ? Du Conseil presbytéral ?). Qu’attendons-nous de ceux que nous visitons ? (Qu’ils aillent mieux ? qu’ils deviennent donateurs ? Qu’ils envoient leurs enfants au catéchisme ?). Que ferons-nous de ce que nous aurons échangé ? Quelle relation entre la visite et le projet de vie de l’Église locale ?
C’est probablement ici que se trouve l’inconfort pastoral : le sentiment d’être attendu fortement du côté de la visite, sans discerner clairement ce que le Conseil presbytéral projette sur le travail de la visite. Un pasteur, ça visite, un point c’est tout !
Je plaide pour que les Conseils presbytéraux prennent le temps de travailler en profondeur sur la visite pour en définir les contours, les fondements et pour prendre en considération la spécificité de la visite pastorale.

Spécificité de la visite pastorale ?

Parce qu’il me semble qu’il y a une « spécificité de la visite pastorale ». En tant que ministre ordonné, en tant que théologien avec une solide formation biblique, installé dans un ministère local au service d’une Église locale, le pasteur est attendu à une place singulière qui fait de lui un écoutant, un accompagnateur spirituel, un témoin de la foi, un confident, différent des autres membres de la communauté. Il me semble donc important de préserver cette singularité pour ne pas banaliser la visite pastorale. Voilà pourquoi nous devons discerner, dans les nombreuses demandes de visite qui peuvent surgir au sein d’une Église, celles qui requièrent prioritairement la présence du ministre.
Ce discernement peut s’adosser sur deux questions : en quoi la « compétence » ou « la fonction pastorale est particulièrement convoquée et attendue par la personne en demande ? Et en quoi, pour cette visite, la présence du ministre est irremplaçable ?
Certes, le pasteur pourra toujours aller boire une tasse de thé chez Monsieur X ou Madame Y, mais est-ce son rôle ? Et si « oui », pourquoi ?
Le « ministère de la visite » n’est ni une option, ni une obligation du ministère pastoral. Il doit s’inscrire dans le témoignage de l’Église locale. Il doit être porté par le Conseil presbytéral. À ce titre, il doit être discuté, raisonné et ordonné pour éviter le risque du fantasme et s’inscrire avec réalisme dans le ministère pastoral.

Guillaume de Clermont

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