Le monde de Luther - 5e volet et dernier volet

La porte des Thèses

01 décembre 2017

La série que la rédaction vous a proposée depuis le numéro de l’été s’achève à la porte de l’église du château de Wittenberg, la fameuse porte où Martin Luther aurait affiché ses 95 thèses. Oui ! vous avez bien lu, l’utilisation du conditionnel n’est pas une erreur journalistique comme vous le découvrirez plus bas…

L’église du château, consacrée en 1503, est d’abord réservée à la cour. L’électeur de Saxe y place une impressionnante collection de reliques. Mais en 1507, le lieu de culte devient l’église de l’université. En 1517, Luther affiche ses 95 thèses sur une porte. En 1546, il sera inhumé à l’intérieur. Son œuvre réformatrice commence et se termine donc ici. L’édifice, appelé aussi église de la Toussaint, est incendié en 1760, bombardé pendant la guerre de Sept ans. D’origine, il ne reste que les murs extérieurs et les pierres tombales. La porte des thèses est également victime des flammes. Une porte en bronze la remplace à partir de 1858. On peut y lire les 95 thèses en latin mais écrites en minuscules gothiques. Au-dessus de la porte, une peinture représente au pied de la croix, Luther une bible à la main et Melanchthon tenant la Confession d’Augsbourg. À l’horizon la silhouette de la ville de Wittenberg se devine.

Controverse entre historiens

L’existence des 95 thèses n’est pas contestée, mais la réalité de l’affichage fait aujourd’hui débat parmi les historiens. Dans les années 1960, deux historiens allemands ouvrent la controverse. Quels sont leurs arguments ?

L’affichage n’est attesté que par une seule source, une courte biographie de Luther publiée par Melanchthon en 1546, trois mois après la mort du Réformateur. Melanchthon, qui arrive en 1518 à Wittenberg, n’a cependant pas pu être lui-même témoin de l’événement. Il n’y a donc aucune source du vivant du Réformateur, pas même dans ses propos. Luther affirme seulement s’être adressé de façon privée aux autorités religieuses. Ses thèses ne se diffusent que parce qu’il les a envoyées aussi à des amis. L’autre argument avancé concerne le genre littéraire du document. Il est manifestement rédigé en latin, en vue d’une dispute universitaire et aurait principalement été inspiré par les abus du moine Johann Tetzel, avec lequel Luther entretiendra une controverse au cours de l’année 1518. Le titre original des 95 thèses est d’ailleurs Martini Lutheri disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum*.
Des contre-arguments ont été avancés. Melanchthon est un proche de Luther et, traditionnellement, une source fiable. Il est avéré que, dès le mois de novembre 1517, les thèses de Luther connaissent déjà une certaine diffusion. Dès le départ le document ne s’est pas limité à un cercle privé. Si l’affichage n’est pas prouvé, il reste néanmoins vraisemblable.

  
Porte des thèses à Wittenberg © Éric Deheunynck

Au-delà de l’histoire…

L’affichage (historique ou non) des 95 thèses est en fait un mythe fondateur. Il ne dit pas quand le protestantisme est né, mais bien quelle est sa nature. L’origine du mouvement réformateur n’est pas à rechercher dans un acte destructeur, telles les crises iconoclastes ou les guerres de religion. Sa source profonde a été et demeure positive. Elle n’est pas rupture avec l’Église de Rome, mais bien fidélité première à l’Évangile. On ne peut parler de rupture que lorsque Rome excommunie Luther, le 3 janvier 1521. À travers ses 95 thèses, Luther affirme la doctrine de la Grâce seule, qui fut et reste l’honneur du protestantisme. La Réforme commence par l’acte d’un homme seul, qui agit en son âme et conscience. Cet homme nous prend à témoin en divulguant ses thèses au grand jour ; ainsi proteste-t-il contre les indulgences mais aussi devant nous.

 * Débat au nom de la puissance et de l’efficacité des indulgences, de Martin Luther.

 
Éric Deheunynck

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