À la rencontre de

Jacques Dewa Ranjee

01 octobre 2017

Cela fait quarante ans que nous sommes sur les mêmes bancs d’Église et pourtant je ne savais rien de lui. Frères en Christ et si discrets sur nos vies familiales et professionnelles ! En faisant son portrait, j’ai entendu un autre discours sur la mission.

Jacques Dewa Ranjee © Claude Godard
   Juste avant la guerre, Jacques nait treizième d’une famille de Fort Dauphin (port au sud est de Madagascar). Il est né Français. En effet, son père, Indien issu d’une caste supérieure, émigre au début du siècle à Madagascar. En arrivant sur l’île, il cherche une femme malgache « bien comme il faut » et on lui conseille de s’adresser au pensionnat de jeunes filles tenu par des missionnaires protestants. Il se convertit au christianisme et fonde une famille. Suite à un acte d’héroïsme, au lieu de la décoration que lui proposait l’administration coloniale, il demande la nationalité française qu’il obtient et qu’il transmet à ses enfants.

Une grande volonté

Son père meurt quand il a 3 ans et sa mère élève cette grande fratrie avec douceur et fermeté. Il se souvient d’elle lui racontant la vie du peuple d’Israël avant de s’endormir - il était incollable aux questions posées par le pasteur - et ce qui restera sa règle de vie : À chaque fois que tu fais une bêtise, Dieu pleure, lui disait-elle !
C’était un enfant plutôt timide. Moyen à l’école, il parvient à intégrer à 15 ans le collège technique de Tananarive où l’armée française vient recruter ses techniciens. C’est comme cela qu’il arrive en France en 1959 juste au moment où le pays accède à l’indépendance. Dans l’armée de l’air, il gravit les échelons, à force de volonté et en dépit des injustices. Sa carrière de sous-officier passe par Nîmes, l’Algérie, Luxeuil, Mururoa, où il assiste à plusieurs tirs nucléaires, Rochefort. Il voyage comme instructeur pour la mise en place des systèmes de missiles sol-air « Crotale », exportés par la France dans les années 70. Il croise de nombreux aumôniers protestants, toujours à l’écoute et bien qu’officiers, proches des hommes de rang.
Il est jeune retraité à 47 ans. Dans les associations d’anciens combattants, il est porte-drapeau. À Poitiers, il choisit de s’engager dans l’ERF plutôt que dans la FPMA. Toutefois, il participe toujours au culte en malgache le dimanche après-midi. Il est conseiller presbytéral depuis toujours et prédicateur laïc, veillant toujours à la bonne tenue des locaux. Dans les assemblées, ses interventions faites de naïveté et d’une grande culture biblique, jettent un autre éclairage dans le clair obscur de la bien-pensance.

Un retour au pays

Depuis le décès de son épouse, il repart tous les ans passer cinq mois à Fort Dauphin (Tolognaro) chez ses neveux. Il me livre sa perplexité sur la mission : corruption à tous les niveaux, Église embourbée dans les problèmes d’argent et les luttes d’ego, sans parler des liens qu’elle entretient avec la politique. Il me dit comment l’aide humanitaire peut être détournée, l’impossible développement économique malgré la richesse minière et agricole de la grande île. Il l’aime ce pays et c’est pour cela qu’il y passe maintenant une partie de l’année, comme pour rattraper le temps perdu. J’ai deux amours : mon pays (Madagascar) et Poitiers, dit-il. Sur place, il écoute, il rencontre ses frères et sœurs. Pour lui, avec les mots de la parabole du bon grain et de l’ivraie, il ne sert à rien de se faire redresseur de tord, lanceur d’alerte du développement et de la mission, il faut attendre le retour du maître. Insouciance ou sagesse, paranoïa ou lucidité ? En attendant, Jacques repartira en décembre rejoindre ses amis et sa famille à Madagascar, comme au chevet d’une grande malade que l’on aime écouter.

 

 

Stéphane Griffiths

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