Histoire

Fusillés pour l’exemple, une erreur judiciaire

01 novembre 2019

Au cours de recherches sur la Grande Guerre, Jean Sainson, ancien professeur de mathématiques, a trouvé par hasard les dossiers de deux soldats, deux zouaves qui n’étaient pas originaires de Betz ni même d’Indre-et-Loire, mais dont la destinée l’a tellement bouleversé qu’il a voulu la faire connaître au cours d’une commémoration qui s’est déroulée le 15 novembre 2017 à Betz-le-Château.

L’un des deux militaires, Abel-Louis Garçault, âgé de 20 ans, était célibataire, catholique et originaire de Villedieu (Indre). Il travaillait comme porcelainier à Foëcy (Cher). L’autre, Louis Chochoi, âgé de 30 ans, était marié, père d’un enfant, protestant, et habitait à Desvres, à 17 km de Boulogne-sur-Mer, où il exerçait le métier de peintre en faïence.

Le verdict

Tous deux ont été blessés à une main, le premier par une balle allemande le 17 décembre 1914 et le second le lendemain en réparant un fusil chargé. Ces blessures ont paru d’autant plus suspectes qu’elles étaient incrustées de grains de poudre. Rapidement, on a pensé qu’ils s’étaient mutilés volontairement pour échapper à l’enfer de la guerre. Un conseil de guerre spécial composé de trois personnes, un chef de bataillon, un capitaine et un adjudant s’est réuni rapidement le 26 décembre suivant pour juger ces deux zouaves. Ils ont été reconnus coupables d’abandon de poste devant l’ennemi par mutilation volontaire et condamnés à la peine de mort. Tous deux ont été fusillés le lendemain matin ; ils avaient refusé qu’on leur bande les yeux et sont morts en criant « Vive la France ! ». Cela se passait à Poperinghe, non loin d’Ypres en Belgique.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. C’était sans compter sur la ténacité de l’abbé Jean-Baptiste Laffitte, brancardier au quartier général, qui avait assisté Garçault et Chochoi avant leur exécution. Il était persuadé qu’ils étaient innocents et, une fois rendu à la vie civile, il commença une enquête. Après l’exécution de ces deux zouaves, il avait écrit aux parents de Garçault, mais aussi à la veuve de Chochoi et ainsi il était entré en relation avec son pasteur Arbousse-Bastide. Ce dernier lui écrit, en mars 1920 : « Laissez-moi vous dire d’abord combien cette lettre pleine de délicatesse, de tact, animée d’un esprit chrétien si vrai m’a touché. Vous avez, vous prêtre catholique, assisté notre cher ami avec une largeur d’esprit vraiment belle, allant vers lui avec votre cœur et des sentiments chrétiens qui sont les mêmes dans mon âme. Je vous remercie de votre attitude qui fait espérer que l’union sacrée n’est pas un vain mot et qui démontre que lorsque, au-dessus de toutes les formules, on communie en Christ, on est vraiment de la même famille. »

Le combat

À partir de là, l’abbé et le pasteur vont unir leurs efforts pour faire réhabiliter les deux exécutés. Le 23 novembre 1920, l’abbé Laffitte écrit au garde des sceaux pour demander la réhabilitation des deux zouaves : « Les deux zouaves, je les crois innocents. Pourquoi n’ai-je rien dit avant l’exécution ? – L’un des deux était catholique et j’étais lié, comme je le suis toujours, par le sceau sacramentel. – L’autre était protestant et je n’eus pas à le confesser ; mais j’eus la consolation de me trouver en face d’une âme droite, vraiment religieuse et je pus avoir avec elle un entretien intime qui me permit de la scruter jusqu’au fond en cet instant suprême… Pourquoi suis-je sorti de mon silence ? C’est que la femme du protestant s’est vu refuser la pension de veuve et son fils a été rayé des pupilles de la Nation. Le pasteur de Boulogne m’a écrit et me supplie de parler si je le puis… »
Mais l’affaire n’avance pas et l’abbé Laffitte contacte un avocat, Jean Marguery, présent à Poperinghe en 1914, qui avait dû renoncer à défendre les deux accusés, mais avait tenu à assister au conseil de guerre. L’abbé Laffitte l’avait connu dans cette circonstance. L’avocat évoque ses souvenirs et accepte de l’aider dans une lettre datée du 8 février 1921 : « Oh ! Le conseil de guerre ; je m’en souviendrai toute ma vie !… L’accusation se basait sur une pièce unique : un certificat émanant d’un médecin d’ambulance ou d’hôpital qui, autant que je m’en souviens, constatait des incrustations de poudre dans les blessures et en déduisait la mutilation volontaire. Il n’existait absolument aucune autre preuve… Le jugement fut rendu avec une rapidité foudroyante, l’audience n’avait duré que quelques minutes, je fus atterré… Disposez de moi ; je ferai tout mon possible pour vous aider. »

La réhabilitation

De nombreuses lettres vont être échangées entre l’abbé, le pasteur, l’avocat et les autorités militaires. Après beaucoup de démarches et de pourparlers, une révision du jugement du conseil de guerre spécial fut obtenue en 1925. L’abbé et l’avocat y firent de longues dépositions. Ils eurent enfin gain de cause : « Par deux arrêts du 12 novembre 1925, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, dans l’intérêt de la loi et des condamnés, réformé les jugements susvisés et déclaré que Chochoi et Garçault sont acquittés de l’accusation retenue contre eux. ». La mention « Mort pour la France » leur sera attribuée.
Dans une autre lettre datée du 5 novembre 1920, le pasteur Arbousse-Bastide écrit ces mots à l’abbé Laffitte : « Je me solidarise avec vous pour atteindre ce but si désiré… Permettez-moi de regretter que nous ne puissions pas en poursuivre d’autres ensemble ! Je crois que dans bien des choses nous pourrions nous donner la main et que nous avons tous les deux au cœur un même et bien grand idéal de Justice, de Paix et de véritable amour chrétien et surtout une même Foi au même Sauveur. Avec cela on peut faire de la bonne besogne pour Dieu. Que ne rencontre-t-on plus souvent cette largeur et cet amour si fraternel ! Pourquoi deux forces tendant vers le même but se neutralisent-elles si souvent et même se combattent-elles ! Comme on avancerait vite, la main dans la main, et quelle prédication chrétienne pour les autres ! »

 
Extrait des dossiers de Louis Chochoi et Abel-Louis Garçault pour leur réhabilitation

© Ministère de la défense – mémoire des hommes

Cimetière de Poperinghe en Belgique © © Marc Ryckaert CC BY-SA 4.0-commons.wikimedia

 

Idelette Ardouin-Weiss

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